Le "si tu veux, tu peux" a cassé les couilles

Notre valeur et notre engagement ne suffisent pas toujours. La rhétorique du "si tu veux, tu peux" est un piège, car dans l'équation engagement = résultat, il faut tenir compte de la variable qui influence peut-être le plus la solution, mais que personne ne mentionne jamais : la chance.
C'est la devise de la plupart des motivateurs : "Si tu veux, tu peux", "Crois en toi", "N'abandonne pas", " Never give up", ce qui est tellement cool et parfait pour un tatouage.

Ce sont des phrases qui cherchent à stimuler la volonté, à vous encourager à ne jamais abandonner, même lorsque la vie vous met des bâtons dans les roues, à croire en vous et en la puissance de vos rêves. Car si vous voulez vraiment quelque chose et que vous le poursuivez avec engagement, en vous concentrant sur l'objectif, tôt ou tard vous l'atteindrez. Vouloir, en effet, est fondamental, c'est le point de départ, il indique la direction à suivre.

Et si, malgré tout, malgré nos efforts, malgré toute notre foi, nous n'atteignons pas cet objectif ? Qu'est-ce que cela signifie ? Que nous ne le voulions peut-être pas vraiment ? Que nous sommes des perdants ? Que c'est de notre faute ?

Non. Cela signifie simplement que, dans toute l'équation, nous avons oublié de prendre en compte la variable qui influence peut-être le plus le résultat final, mais que personne ne mentionne jamais : le coup de chance.

En effet, dans la vie, nous avons aussi besoin de chance.

Parce que notre valeur et notre engagement ne suffisent pas toujours. Et si nous n'atteignons pas notre objectif, ce n'est pas toujours parce que nous ne sommes pas ou pas assez engagés, ce n'est pas toujours de notre faute.
On le comprend mieux en inversant la cause et l'effet : beaucoup de ceux qui ont réussi ont fait des efforts, mais l'inverse n'est pas vrai, c'est-à-dire que tous ceux qui font des efforts parviennent à leurs fins. Cela reviendrait à dire que réussir n'est que le mérite d'avoir essayé alors que c'est au moins une condition nécessaire mais, hélas, pas toujours suffisante. Ce n'est pas la seule variable de l'équation, disais-je.
Certaines personnes se fixent des objectifs trop éloignés de leurs possibilités réelles, c'est vrai. Dans ce cas, ne pas atteindre ce qu'elles se sont fixé est assez évident.

Mais même lorsque les objectifs semblent réalistes, il n'est pas nécessairement possible de les atteindre.

Il faut se faire à l'idée que tout n'est pas réalisable, qu'il y a beaucoup d'éléments qui contribuent à la réussite, que peut-être la réussite elle-même - au sens large du terme : épanouissement, bien-être, satisfaction, bonheur - n'est pas la seule voie possible.
J'ai toujours soutenu, par exemple, que ceux qui nous incitent à tout laisser tomber et à prendre un congé sabbatique éternel mentent. Ils nous cachent qu'il faut aussi de la "chance" - entendue comme des "conditions favorables", allant du substrat social au caractère, des possibilités économiques à l'indépendance, être au bon endroit au bon moment, rencontrer les bonnes personnes, toute une série de conditions extérieures qui représentent une chance dans la vie. Combien d'entre eux ont des parents âgés à charge ? Combien ont une famille ? Combien ont plus de 50 ans ? Ils ne peuvent pas colporter la recette du bonheur sans dire que ce n'est pas pour tout le monde !

Ce n'est pas un hasard si je parle de récit toxique.
Il y a quelques années, j'ai rencontré un couple de fiancés qui avait parcouru le monde pendant neuf mois : trois mois en Asie, trois en Amérique latine, trois en Afrique. Je les enviais tellement, j'aurais aimé pouvoir voyager aussi longtemps - et qui ne l'aurait pas fait ? Mais comment aurais-je fait avec mon travail ? Avec mes parents âgés ? Et surtout avec de maigres possibilités financières ? "Si tu veux, tu peux", m'ont-ils dit en guise de gifle. Et je me suis sentie comme quelqu'un qui parle beaucoup mais qui n'a pas le courage d'agir, comme quelqu'un qui n'est pas capable d'organiser sa vie en la faisant tourner selon sa propre volonté. J'ai eu l'impression d'être un raté. Peu importe que ce soit quelqu'un dont les conditions limites étaient plus favorables que les miennes qui ait prononcé ces mots - et que ceux-ci aient fait une énorme différence.

Bien sûr, il faut aussi aider le destin. Il y a certainement des gens qui travaillent dur pour atteindre un objectif, qui sont engagés, capables et qui méritent toutes les bonnes choses que la vie leur réserve.
Il y a ceux qui réussissent parce qu'ils ont la clairvoyance et la capacité - ce qui n'est pas le cas de tout le monde - de mettre à profit leurs qualités et leurs expériences antérieures, même s'ils n'ont pas de chance. Je n'ai certainement pas l'intention de déprécier ceux qui ont également réussi grâce à la "chance" ; au contraire, je dis qu'elle est nécessaire.

Mais je suis fatigué d'entendre "si tu veux, tu peux", qui implique ce jugement voilé que si tu échoues, c'est parce que tu es médiocre - tu ne peux pas - ou que tu te relâches - tu ne veux pas.

Peut-être que la mienne n'est que la voix d'un perdant, d'un homme aux nombreux rêves, dont la plupart n'ont jamais été réalisés.
Peut-être n'est-ce que l'envie de ceux qui, au contraire, semblent être un nouveau roi Midas et transforment tous leurs rêves en réalité. C'est possible. Mais je me sens appartenir à une catégorie que j'aimerais soutenir. Tout le monde n'est pas destiné à la réussite, tout le monde n'est pas donné pour réaliser ses rêves, ou plutôt, tous les rêves et tous les souhaits ne se réalisent pas. Mais ne nous culpabilisons pas, ne nous croyons pas inférieurs, ne nous laissons pas piéger par le "si tu veux, tu peux". Ne nous laissons pas enfermer dans les cages mentales de la rhétorique d'une société performative.

Nous - ce que nous sommes et faisons - sommes le fruit de nombreuses variables.
Vouloir, c'est vouloir. Un point c'est tout. Que ce soit la base pour accomplir quoi que ce soit, le point de départ nécessaire, ne fait aucun doute. Mais je changerais l'histoire comme suit : "Si vous le voulez vraiment, essayez au moins". Ou peut-être que vous ne pouvez pas. Essayez alors de changer d'objectif. Trouver sa voie et sa place dans le monde est un chemin très long et complexe. Le vider de sa valeur en le réduisant à la rhétorique selon laquelle "si vous essayez fort, vous pouvez y arriver" est nuisible parce qu'éloigné de la réalité.

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photo source :

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